vendredi 4 avril 2008

AU DEUXIÈME MITAN

Jean Erich René

La complexité des événements survenus cette semaine sur la scène politique
haïtienne nous embrouille. La résolution arbitraire du 18 mars 2008 de la
Chambre Haute radiant le Sénateur Boulos, le débarquement à une heure indue
de la DEA à Pestel à la poursuite de Guy Philippe introuvable, la
prestation du Premier Ministre devant les bailleurs de fond Internationaux
à l’ONU sont autant de séquences de la vie politique nationale qui
chiffonnent l’esprit de tout le monde sans pouvoir en dégager le fil
conducteur. Il n’y a pas de faits simultanés, isolés en politique. La
concordance des épisodes, dans l’espace et dans le temps, laisse paraître
en filigrane un croquis tracé par les architectes de LESPWA pour assurer
leur main mise définitive sur le pouvoir.

Tous les indices relevés à l’échelle macro trahissent la tendance infernale
de la machine politique du Gouvernement montée pour exécuter son plan
machiavélique. Le différentiel consiste en une révision constitutionnelle
afin de tailler le pouvoir selon le plan transmis au contremaître. Préval a
toujours laissé entendre qu’il n’est qu’un Président de transition. Un tel
aveu nous permet de comprendre que, cueilli in extremis à Marmelade, il a
un contrat précis à exécuter. Quelles que soient les vagues et les marées
le timonier maintient son cap vers son objectif. Les revendications
populaires, les manifestations contre la vie chère, la famine ne détournent
pas son attention. Il va droit au but. Aussi vient-il de commencer le
deuxième mitan du match.

À l’échelle micro, en joignant les différentes lignes de la politique du
Gouvernement on part à la découverte de son réseau d’actions tissé pour
accoucher une nouvelle constitution dont rêvait Jean Bertrand Aristide
afin d’implanter sa dynastie. Pour les prochaines élections, LESPWA tient
mordicus à avoir la majorité au Parlement, surtout au niveau du Sénat. Le
ratio de 2/3 pour obtenir le quorum est indispensable à l’exécution de ses
chimériques projets. On ne s’embarrasse pas de scrupules pour cumuler le
vote au parlement. Actuellement LESPWA compte 8 sénateurs. Il lui en
manque 12 pour obtenir le chiffre magique de 20 afin de faire pencher la
balance en sa faveur.

Préval est prêt à signer un pacte avec le diable pour obtenir cette
addition. Il terrorise les sénateurs qui s’opposent à son projet de
révision constitutionnelle. Rudolph Boulos au cours de la célébration de
la mort de l’Empereur le 17 octobre 2006, au salon jaune, a repoussé
catégoriquement l’intention que le Président vient de lui manifester
d’amender la Constitution de 1987. Le nom Boulos résonne mal sur la scène
politique haïtienne. Il est plutôt perçu comme un intrus pour certains et
un emmerdeur pour d’autres. Par sa force de caractère et son pouvoir
économique, il s’est frayé un chemin par suite d’un compromis au sein de la
Fusion. Tout le monde connaissait son statut civil et politique et personne
ne lui chercherait noise tant et aussi longtemps qu’il restait dans ses
limites.

L’erreur de Boulos c’est d’avoir brigué la Vice-présidence du Sénat tout
en affichant une tendance à aller de l’avant. Ses triomphales tournées
internationales tant au Canada qu’aux USA inquiètent le pouvoir et excitent
la jalousie de ses pairs. Grâce à sa vision d’entrepreneur, son animal
spirit lui confère plutôt une approche pragmatique de la politique. Aussi
jouit-il dans sa circonscription d’une légitimité politique que personne ne
peut lui ravir. La construction d’une école, d’un pont sur une rivière dont
la traversée était difficile, la distribution de 26.000 drageons de
bananes etc. l’ont auréolé de gloire aux yeux de ses mandants qui le
surnomment: BOULE L’OR. Dire que Boulos n’est pas haïtien est un non-sens.
Qui a le palmarès de Rudolph Boulos sur l’échiquier politique?

L’erreur capitale de Boulos c’est d’avoir brigué la vice-présidence du
Sénat à coups d’argent. Qui sait? Vaut mieux l’arrêter dès maintenant dans
sa marche ascensionnelle. D’autant plus que Préval avait un contentieux à
régler avec le Sénateur Boulos qu’il accuse d’avoir fomenté une
manifestation contre lui à Ouanaminthe. En effet, en 2007 au cours d’une
brève visite dans le Nord-est le cortège présidentiel a été salué par une
canonnade de pierres en réaction à l’indifférence du 55e Président au sort
de la population. Préval a dû s’engouffrer d’urgence dans un engin blindé
de la Minustah pour échapper à la fureur de la foule. On a tout fait pour
étouffer cet incident que le public ignore jusqu'à date. Autant de motifs
politiques qui portent Préval à chasser Boulos pour cumuler les sièges
nécessaires pour obtenir la majorité à la Chambre Haute.

La faucille coupe aussi des têtes dans le camp de Lespwa. La première
victime c’est le Sénateur de l’Ouest Jean Hector Anacacis, fondateur du
SOLAM à SOLINO. Selon lui l’assassinat de son frère dernièrement à
Kenscoff est un message codé qu’on lui adresse. Il sentait venir le danger
à cause de ses interventions orageuses au Parlement en exigeant de ses
collègues un peu plus d’éthique. Il leur reprochait d’être le papier
carbone de l’Exécutif. Le Président du Sénat Kelly Bastien se comporte
comme l’enfant de chœur de Préval. La dite résolution du 18 mars 2008
radiant Rudolph Boulos contrairement aux vœux de l’article 112.1 de la
Constitution de 1987 est la preuve la plus irréfragable de sa soumission
inconditionnelle. Quelle tristesse!

Poursuivant sa quête de sénateurs afin d’obtenir le quorum à la Chambre
Haute, LESPWA vise la Grand’Anse en tentant de tuer dans l’œuf l’intention
de Guy Philippe de briguer le poste de Sénateur. Préval a sollicité le
concours de la DEA pour se débarrasser de Guy Philippe sous l’accusation
mortelle de trafic de drogue. Le chef des rebelles ciblé avec précision
grâce aux repères cathodiques de son cellulaire devrait être capturé puis
conduit en bateau à Miami. Il s’est volatilisé pour reparaître le même jour
au micro de Radio Kiskeya en renouvelant sa volonté, per fas et nefas,
d’être sénateur de la Grand’Anse. Une enquête est en cours au niveau de la
BLTS ou Brigade de Lutte contre le Trafic des Stupéfiants pour identifier
une voix captée sur les bandes magnétiques de la DEA mettant la puce à
l’oreille de Guy Philippe afin de se mettre à couvert.

L’arrestation manquée de Guy Philippe est aussi un message en différé à
l’adresse du Premier Sénateur de l’Artibonite, son partenaire secret. Ce
n’est pas par accident que le pouvoir a échu à une famille de tortues au
départ d’Aristide. Deux ans avant, un plan a été mis en place pour faire
de La tortue provisoirement le Premier Ministre de la Transition et
définitivement le Président d’Haïti. Cependant tout ne s’était pas déroulé
comme prévu. Une pièce importante manquait au puzzle : l’intégration des
combattants comme Nouvelle Force Armée dont Guy Philippe serait le Chef.
Collins Powell s’y est opposé en rejetant le schisme évoqué par La tortue
comme justification. Sa nomination comme médiateur en Guinée a pour effet
de rehausser son éclat en Haïti pour les prochaines joutes électorales. Si
pour se hisser au pouvoir et le maintenir pendant deux ans Préval avait
utilisé la ruse, au deuxième mitan c’est par la force que le KGBiste entend
s’imposer. Tant pis pour les incrédules!

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