lundi 29 octobre 2007

LE MAL VA MAL FINIR !

Jean Erich René

La parole est l’arme la plus puissante et la plus dangereuse que puisse posséder l’homme. Les déclarations apparemment les plus banales dans un contexte de turbulence politique peuvent avoir l’effet d’une bombe.
Certains discours peuvent conduire vers la catastrophe. Un homme politique ne peut pas verbaliser comme un bambin sans assumer la responsabilité de ses déclarations. Le bon cavalier ne change pas de monture au milieu d’une rivière en crue, conseille la sagesse haïtienne. La Constitution de 1987 a été approuvée par la majorité nationale. De plus, 57 organisations politiques, au cours de l’été 1987, s’étaient coalisées pour veiller à son application.
Pour contrer la dictature militaire, l’Opération ‘Rache Manyok’ de Mgr Willy Romélus, fut mis sur pied. Les examens du Baccalauréat furent boycottés à cette fin. La Gauche haïtienne a jugé opportun de constituer le comité "Honneur Respect pour la Constitution" dont le père Antoine Adrien fut un élément d’avant garde y compris Arnold Antonin, Anthony Barbier etc.
Comment René Préval un des pontes de Lavalas peut-il retourner sa veste aujourd’hui ? L’histoire haïtienne est riche en rebondissements relatifs aux changements de la Constitution. La plupart des chefs d’État qui ont tenté d’effectuer ce tour acrobatique se retrouvent presque toujours dans l’eau chaude.
En 1806, Henri Christophe a fondé son royaume parce qu’il jugeait non applicable la Constitution de Pétion qui, devenu président après la scission du Nord et du Sud, fut pris dans son propre piège. Il a dû envahir le Palais Législatif pour s’en défaire. En 1935 le Président Sténio Vincent a inauguré sa dictature avec l’arrestation de 11 députés afin de pourvoir à leurs remplacements et obtenir la majorité au niveau des 2 chambres. Ainsi il a pu obtenir les votes de l’Assemblée Nationale pour une nouvelle Magna Carta. Effectivement la constitution de 1935 a enfanté la dictature de 11 ans de Sténio Vincent. (Claude Moise "Constitutions et luttes du Pouvoir en Haïti" tome I, p. 203-240)
Le 12 décembre 1941 le Président Elie Lescot a lancé une réforme constitutionnelle lui accordant un nouveau mandat de 7 ans avec le droit exceptionnel de faire des élections partielles pour remplacer les députés et les sénateurs ((Claude Moise "Constitutions et luttes du Pouvoir en Haïti." tome I, p. 234-235) La clause de non-rééligibilité tourmentait également le Président Dumarsais Estimé. Une crise politique a pris naissance par la tentative d’une révision constitutionnelle le portant à saccager le Palais Législatif. Le coup d’état militaire du 10 mai 1950 le força à laisser le pays avec sa famille. ((Claude Moise "Constitutions et luttes du Pouvoir en Haïti." tome I p. 296-301)
L’exemple le plus récent c’est le départ inopiné du Général Paul Eugène Magloire après avoir amendé la Constitution en 1956 pour instaurer le suffrage universel. Dr François Duvalier élu Président en 1957 a été reconduit le lundi 22 mai 1961 par une résolution de l’Assemblée Nationale pour une nouvelle période de 6 ans suite au suffrage universel du 30 avril 1961. Claude Moise et Gary Hector mettent sur les lèvres de René Préval le même Discours que François Duvalier : "Dans le but d’éviter les tensions artificielles et inutiles génératrices d’amers conflits intérieurs et éviter à la nation des déchirements sans grandeur auxquels périodiquement elle est exposée, la Souveraineté nationale délibérément a substitué au mandat du Pouvoir de 1957, le mandat de continuer la Révolution de la paix, de l’ordre, de la discipline et de la Reconstruction nationale.(Dr.
F.Duvalier, Oeuvres Essentielles p.264)
La révision de la Constitution comporte des risques de dérive si on laisse cette initiative à un clan. De plus, l’obsession de René Préval à remplacer complètement la Constitution laisse l’impression que le pays est plongé dans une crise qui nécessite une solution légale urgente. Pourtant aucun des critères avancés ne justifie l'impératif de ce revirement constitutionnel spectaculaire. La tentative d’immixtion étrangère dans la commission de réflexion sur la réforme constitutionnelle pique notre curiosité et renforce davantage notre méfiance vis à vis de l’équipe au pouvoir. LESPWA s’appuie sur la terreur et le bâillon pour zombifier la population haïtienne et exécuter son projet macabre.

François Duvalier pour sauver la face en 1964 avant de révoquer la Constitution de 1956 qui l’avait élu au suffrage universel, avait reconnu la caducité de son pouvoir, renoncé à son titre de Président de la République pour devenir dans l’intervalle le chef de la Révolution. En suivant de fil en aiguille le schème de pensées de Claude Moise pour l’instauration de la nouvelle dictature, il a additionné les acquis de Vincent, Lescot, Estimé et Duvalier. En effet avec un nouveau CEP à la solde de LESPWA, il est aisé de remplacer les sénateurs manquants et d’obtenir la majorité au niveau des 2 chambres afin de voter leur constitution sans aucun referendum. Finis les problèmes de non-rééligibilité! Vive la succession ! A bas les élections législatives obligatoires chaque 2 ans!
Soyons sérieux! Peut-on à chaque période de l’histoire ajuster la Charte fondamentale de la nation au gabarit du nouveau locataire du Palais national? En déclarant son intention de remplacer la Constitution, Préval ipso facto renonce au mandat qui lui a été concédé par la Constitution de 1987. On ne peut pas avoir en même temps le beurre et l’argent du beurre.
Il y a un coût d’opportunité à payer. Le décisionisme de Max Weber établit les liens entre faits, normes et valeurs. La théorie webérienne tient compte de la connaissance des valeurs propres à la dogmatique du droit et de l'effet des représentations normatives sur la conduite des agents.
Lespwa est-il devenu le point culminant de la rationalité formelle au point de vouloir élaborer des règles à son gré ?
Le programme politique de Préval est encore inconnu comment peut-il servir d’idéal-type pour accoucher une progéniture qui risque d’être un monstre si elle est engendrée à l’image et à la ressemblance de son père. Dans l’intervalle, le Gouvernement est en apesanteur car l’intention vaut le fait. Le Pouvoir de Préval est constitutionnellement caduc. Il s’est laissé entraîner dans un cul-de-sac par des dealers d’opinions. Peut-il effectuer le saut périlleux d’une refonte de la constitution ? Ou va-t-il retourner à son vomi, dirait le Professeur ? Des deux côtés, le mal va mal finir ! Les oreilles du commun des mortels ne manifestent aucune sensibilité par rapport à cette musique. Face à ces tensions c’est au Corps législatif et aux leaders politiques conséquents d’assumer leurs responsabilités historiques en exigeant des explications sur le nouvel itinéraire choisi par LESPWA sous l’inspiration de Claude Moise et de Carry Hector.